Écriture inclusive en entreprise : pour ou contre ?
7 novembre 2017
Le 10 octobre dernier, Muriel Pénicaud, ministre du Travail, et Marlène Schiappa, secrétaire d’État en charge de l’Égalité femmes-hommes, ont lancé le guide « Égalité Femmes-Hommes. Mon entreprise s’engage ». Destiné aux TPE-PME, ce guide pratique a pour objectif de favoriser l’égalité professionnelle par des recommandations, dont celle de « délester sa communication des stéréotypes de sexe ». Il invite, autrement dit, à adopter l’écriture inclusive. Mais, au fait, c’est quoi l’écriture inclusive ? Et pourquoi faudrait-il l’imposer en entreprise ?
Écriture inclusive : de quoi parle-t-on ?
L’écriture inclusive est une forme de Français qui vise à assurer l’égalité des représentations des deux sexes. C’est un « ensemble d’attentions graphiques et syntaxiques » qui impose quelques conventions. Trois, en particulier :
- proposer une version féminine pour chaque terme masculin.
L’auteur·e peut soit utiliser la double flexion (« elles et ils font… », ou encore « les gérantes et gérants… »), soit mettre un point médian (les président·e·s), soit user de mots épicènes qui ont la même forme au masculin et au féminin (cadre, fonctionnaire, juriste, etc.). - toujours accorder en genre les mots décrivant une fonction, un grade, un titre ou un métier : adjoint·e·s, consultant·e·s, rédacteur·rice·s…
- ne jamais mettre de majuscule de prestige à « femme » ou « homme », car ni l’un ni l’autre ne peuvent englober la totalité de l’humanité.
Une entreprise qui respecte l’écriture inclusive évoquera, notamment, les « droits humains » plutôt que les « droits de l’Homme ».
Écriture inclusive en entreprise : les directives du gouvernement
Dans son récent recueil de bonnes pratiques, le gouvernement invite les entreprises non seulement à recourir à l’écriture inclusive (bien qu’elle ne soit pas explicitement citée), mais aussi à proscrire les formulations sexistes (du type : « chef de famille », « mademoiselle », etc.), à veiller, dans leurs publications, à ne pas tomber dans les clichés (en publiant, par exemple, des images mettant en scène une femme en situation domestique en regard d’un homme en situation de travail) ou encore à équilibrer la représentation des femmes et des hommes dans l’ensemble de leurs actions de communication (en ayant, entre autres, un nombre égal de femmes et d’hommes apparents dans leurs supports vidéo, photographiques, etc.).
Si elles font beaucoup parler d’elles ces dernières semaines, ces recommandations n’ont rien de révolutionnaires. En 2015, le Haut Conseil de l’Égalité défendait déjà, dans son propre guide, l’écriture inclusive pour lutter contre les stéréotypes de genre. Pourquoi la mayonnaise n’avait-elle pas pris alors ? La faute au poids des habitudes et aux résistances grammaticales ? Oui, mais pas seulement !
L’écriture inclusive au cœur du débat
L’écriture inclusive est au cœur de nombreux débats depuis la publication, pour la rentrée 2017 / 2018, d’un manuel scolaire égalitaire par la maison d’édition Hatier. Mais, quels sont, au juste, les arguments en faveur et contre l’application de l’écriture inclusive ?
Les arguments « pour »
POUR changer les mentalités
Alors que de nombreuses initiatives ont vu le jour pour permettre l’égalité professionnelle : loi sur la parité dans les conseils d’administration, création du haut conseil de l’Égalité, dispositions diverses pour l’égalité salariale, etc., dans l’Hexagone, les femmes gagnent en moyenne 19 % de moins que les hommes. Et, selon l’Observatoire des inégalités, près de 11 % de ces écarts de salaires relèvent de la « discrimination pure ».
La prédominance du masculin dans la grammaire contribue à renforcer ces inégalités, selon les partisans de l’écriture inclusive. « Le langage constitue un levier puissant pour faire progresser les mentalités », affirme l’agence de communication Mots clés, auteure d’un manuel d’écriture inclusive.
POUR susciter des vocations
Les défenseurs de la communication non-sexiste considèrent également qu’accorder en genre les métiers, grades et fonctions a des conséquences non seulement sur les représentations que l’on s’en fait, mais peut aussi susciter des vocations chez les femmes et ainsi favoriser la parité dans certaines professions.
Les arguments « contre »
Dans sa tentative de réforme orthographique, l’écriture inclusive s’est confrontée à une véritable levée de boucliers.
CONTRE une déformation et un appauvrissement de la langue française
Le camp des « contre » avance de nombreux arguments : du « c’est moche » au « c’est illisible », en passant par le « c’est incompréhensible ». Même dans les rangs du gouvernement, le sujet divise : le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, a par exemple indiqué sur la chaîne BFMTV trouver que « l’écriture inclusive morcelle les mots. […] Je trouve que ça ajoute une complexité qui n’est pas nécessaire ».
Pour Jean-Michel Blanquer, l’écriture inclusive « ajoute une complexité qui n’est pas nécessaire » pic.twitter.com/YGDGowSr2R
— BFMTV (@BFMTV) 16 octobre 2017
C’est aussi l’argument de nombreux enseignants qui craignent que l’écriture inclusive ne rende plus difficile l’apprentissage et la lecture du Français.
Dans un communiqué en date du 26 octobre 2017, l’Académie française va même jusqu’à émettre un « cri d’alarme » contre ce type de graphie qui « aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité. Devant cette aberration, la langue française est en péril mortel », poursuivent-ils.
CONTRE un « faux problème »
Pour le philosophe Raphaël Enthoven, opposant acerbe à l’écriture inclusive, même si des « siècles d’injustice ont façonné le langage », il serait vain « de s’imposer un lifting [du langage] qui croît abolir les injustices du passé en supprimant leur trace ».
Le fin mot de l’actu ? Le désir d’égalité n’excuse pas le façonnage des consciences #E1Matin @Enthoven_R pic.twitter.com/2pk8h77lMn
— Europe 1 (@Europe1) 26 septembre 2017
Le combat est ailleurs, soutient, lui aussi, l’académicien Michael Edwards : « Ce n’est pas à la langue de changer les mentalités ».
CONTRE un langage excluant
Enfin, les partisans du « contre » estiment que l’écriture inclusive entretient une distinction entre les deux sexes au lieu d’introduire une indifférenciation qui serait, elle, neutre et plus juste.
Des positions tellement tranchées que l’on peut se demander si les partisans du « pour » et du « contre » trouveront un jour un terrain d’entente.
Et vous ?
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Bonjour,
Partisane du Pour et parce que pas peur du changement qui rebute (oui c’est moche mais on va s’habituer) je voudrais surtout rebondir sur le philosophe Raphaël Enthoven : on ne cherche pas à « abolir les injustices du passé en supprimant leur trace ». On parle bien de maintenant, du futur. Il s’agit bien d’aider l’évolution de notre société et je pense que le langage est un véhicule très important qui permet et même accélère le changement.
C’est le même principe que l’incrimination des races par le langage, on ne le fait plus (sauf les cons) parce qu’on a compris que ça entretenait le racisme ordinaire…