RSE en europe : quel(s) modèle(s) Européen(s) ?
6 décembre 2010
Cet article a été mis à jour le 29 juin 2012 à 12:46
En France, mais aussi en Europe, un dégoût général envers les modèles et méthodes des États-Unis est profondément enraciné. Les Européens rejettent en grande partie ce qu’ils voient comme l’individualisme absolu qui créa des conditions difficiles pour ceux qui sont incapables de se battre pour eux-mêmes. Les crises récentes survenues aux Etats-Unis, le chômage, les problèmes immobiliers ou encore le modèle de santé viennent conforter cette vision. De notre coté de l’Atlantique, c’est le sentiment de solidarité et d’égalitarisme qui prévaut, même si il nuit à la performance économique. Pourtant, il n’y a pas de modèle unique européen ! Il n’y a pas, par opposition au modèle américain, un modèle Européen entier et indivisible. Différents pays ont construit des systèmes de protection différents. Ainsi, en matière économique, le débat est souvent de savoir en faveur de quel modèle européen il faut pencher, lequel adopter, plutôt que le système américain économiquement plus performants…
Les modèles économiques en Europe
La France et son modèle continental, qui trouve ses limites
Le mode continental repose sur un refus général de laisser le marché du travail aux forces économiques. En Autriche, en Belgique, en France et en Allemagne, on peut y voir sa plus belle traduction, pays dans lesquels les syndicats ont un rôle important sur les questions relatives au travail et même parfois dans la gestion générale, même si l’adhésion est faible. Des restrictions strictes sur les licenciements, un salaire minimum élevé et des prestations de chômage généreuses sont les points clés. En conséquence, le taux d’emploi est relativement faible et les périodes de chômage ont tendance à être durables.
D’une certaine manière, les citoyens sont choyés par un système social hautement développé qui suit chaque citoyen « du berceau au tombeau », avec une éducation de qualité gratuite, la retraite anticipée et l’assurance maladie universelle. Ainsi, nous sommes prêts à payer des impôts élevés en échange d’un sentiment de sécurité et d’un mode de vie oisif… Ce modèle est directement menacé par l’intégration économique qui récompense l’efficacité économique et déclenche une concurrence entre les états... Sans surprise, leur réaction est d’appeler à l’harmonisation des dispositions sociales, en espérant que leur modèle servira de référence.
Le modèle nordique, vrai modèle à suivre ?
Les pays nordiques (les Pays-Bas peuvent aussi être associés à ce modèle) offrent les systèmes de protection sociale les plus larges dans le monde. Ce sont aussi des pays dans lesquels les impôts sont les plus importants, et dont le produit finance un vaste service public, de très grande qualité. Dans le même temps, l’approche au marché du travail allie générosité avec rigueur. En Suède, par exemple, le taux de chômage est l’un des plus élevés mais il est souvent d’une courte période de temps, encourageant les travailleurs à rechercher activement et à accepter des emplois. La Suède a été le pionnier des politiques actives du marché du travail qui, contrairement aux prestations passive, encouragent ceux qui perdent leur emploi à se réinsérer dans les systèmes de formation et d’orientation. Les pays nordiques sont aussi profondément attachés à l’égalité des revenus. Un haut degré d’égalité est obtenu par la combinaison de la compression des salaires et un impôt progressif. Un tel degré de compression des salaires est mal perçu par de nombreux économistes qui estiment qu’il y a peu de récompense pour le travail et la prise de risque, ce qui peut donc nuire à la croissance. D’autre part, un haut degré d’égalité sous-tend la cohésion sociale et la réduction de la criminalité… et donc une qualité de vie renforcée.
Du point de vue socio-politique, le modèle nordique combine un degré unique de cohésion sociale et de solidarité avec une sévérité relative pour la lutte contre le chômage. Des impôts élevés, une égalité des revenus extrême, et un état de bien-être global qui peut étouffer les initiatives individuelles sont souvent identifiés comme le prix à payer pour ce modèle, si souvent pris comme référence par nos politiques. Les pays nordiques affichent une performance économique (croissance, emploi) à un niveau quasi similaire avec les autres économies européennes. Le mode nordique a tendance à recevoir des évaluations positives par l’Europe pour la lutte contre le chômage, mais son État-providence fort est souvent considéré comme excessif, du moins en ce qui concerne le taux d’imposition dont il a besoin.
Le modèle anglo-saxon, novateur face au chômage ?
L’Irlande et le Royaume-Uni sont généralement associés à ce modèle. Le Royaume-Uni a longtemps utilisé le modèle continental que nous connaissons, avec des syndicats puissants et influents au-delà des limites traditionnelles du marché du travail. Margaret Thatcher a changé tout cela dans les années I980 quand elle a décidé d’affaiblir les syndicats, puis a procédé au démantèlement de nombreuses mesures du marché du travail qui protégeaient les plus faibles, sur le motif qu’elles ont nui à la concurrence et réduit la croissance économique.
Le taux de chômage est l’un des plus bas d’Europe, le taux d’emploi est l’un des plus élevés et la Grande-Bretagne, longtemps l’une des économies possédant une croissance lente en Europe, est maintenant dans le peloton de tête. Dans le même temps, les inégalités sont élevés et les services publics sont parmi les pires d’Europe.Une politique novatrice face à l’emploi a été mise en place, un programme visant à limiter mes prestations de chômage. Des subventions sont accordées aux chômeurs qui trouvent un emploi, ces subventions leur permettent de travailler pour des salaires inférieurs, et donc d’être attractifs pour les employeurs potentiels, tout en recevant des gains significativement plus élevés que les prestations de chômage
Le modèle européen du Sud
La Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal constituent un groupe plutôt disparate. Leur adoption de l’Etat-providence est plus récente que dans les pays précédents. La protection sociale est donc plus faible, avec des prestations de chômage relativement peu généreuses. D’autre part, ce modèle a une tradition de protection de l’emploi très stricte. En Espagne, par exemple, ce n’est que récemment que l’on a commencé à démanteler l’approche paternaliste qui caractérisait la dictature de Franco, où le travail temporaire était illégal. Le partage des revenus est basé sur les niveaux de hiérarchie familiaux (enfants / parents)… Grèce, Portugal, Espagne, ces pays sont au cœur de la crise qui ronge l’Europe, montrant les limites d’un tel modèle.
Un modèle de RSE unique en Europe ?
« Bien que leur responsabilité première soit de générer des profit, les entreprises peuvent en même temps contribuer à des objectifs sociaux et à la protection de l’environnement, en intégrant la responsabilité sociale comme investissement stratégique au cœur de leur stratégie commerciale, de leurs instruments de gestion et de leurs activités » nous dit le Livre Vert de la Commission Européenne. elle intervient donc directement dans les modèles économiques, et il faut promouvoir la RSE en Europe comme partie intégrante du modèle social européen. Voila pourquoi l’Europe souhaite débattre et construire sur cette question de ce qui fait ou non l’unité d’un modèle commun, et ce qui fait ses spécificités, par État, ou par « zone ».
Suite à l’appel à propositions européen soutenant des projets dans le domaine de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), le Think Tank européen Pour la Solidarité, en partenariat avec la Région wallonne (Belgique) et la Région de Ombrie (Italie), ainsi qu’un réseau solide et expérimenté d’acteurs, ont remporté un projet visant à favoriser le développement de la RSE en Europe.
Ce projet a trois objectifs spécifiques :
- 1) identifier et analyser les différents modèles de RSE existant en Europe et par conséquent, évaluer la manière dont les questions de RSE et de diversité sont traitées dans les différents modèles ;
- 2) collecter, comparer et évaluer les meilleures pratiques et instruments selon une vision adaptée aux pays ou groupes de pays ;
- 3) recommander aux entreprises des pratiques et outils visant la promotion de la RSE en leur sein, et plus particulièrement, la promotion de la diversité envers les jeunes travailleurs, en considérant les particularités nationales et/ou régionales, y compris le modèle socio-économique et la manière dont la RSE est perçue dans les entreprises du pays/de région.
Les conclusions qui ressortent de cette étude sont passionnantes. « S’il existe en Europe un certain consensus sur cette définition, les analyses menées par les partenaires du projet en Pologne, Roumanie, Italie, Allemagne, Espagne, France, Belgique montrent que tout en ayant pris un certain essor ces dernières années dans les entreprises, la RSE revêt des particularismes et des réalités différentes, en fonction des contextes nationaux, socio-économiques, historiques et juridiques dans lesquels elle s’inscrit » nous dit le rapport final. Je vous invite à le consulter pour comprendre comment est perçue et utilisée la RSE en Pologne, en Roumanie, en Itlaie ou encore en Belgique, et ainsi voir les différences.
Car en effet, ce projet permet de démontrer qu’il existe bien en Europe plusieurs modèles de RSE, qui se déclinent en fonction du contexte économique, social, culturel, historique et légal du pays dans lequel ils s’inscrivent. Différences d’approches et de prise en main par les médias / acteurs, mais il y a une similitude : l’émergence d’actions concrètes, sur l’emploi, la fidélisation, l’intégration…
La principale conclusion de ce rapport nous dit que les entreprises doivent faire preuve de plus de transparence à leur égard et inclure davantage d’informations sur leur engagement social dans les
rapports annuels qu’elles produisent. Il est ainsi essentiel d’arriver à une harmonisation des pratiques dans ce domaine, afin de rendre les informations plus exploitables. La Commission
européenne publiera une nouvelle communication en 2011 pour donner une nouvelle orientation à la RSE, plus contraignante législativement parlant, ou non… La RSE comme solution à la crise et comme élément de cohésion international au niveau Européen ? Réponse en 2011 sans doutes.
Pour en savoir plus :
- L’excellent livre « The Economics of European Integration » de Richard Baldwin et Charles Wyplosz
- UN MODELE “EUROPEEN” DE LA R.S.E. ? (Yvon PESQUEUX, C.N.A.M. Chaire “ Développement des Systèmes d’Organisation”
- Plusieurs modèles de RSE en Europe et plusieurs manières de promouvoir la diversité en entreprises ? Recommandations pratiques aux entreprises selon le modèle de RSE adopté
Rapport final du projet européen soutenu par la Commission européenne
Crédit photo : tristam sparks