Les « zones blanches », enjeu majeur du numérique
21 février 2022
Fin décembre dernier, le gouvernement annonçait débloquer une nouvelle enveloppe de 300 millions d’euros pour accélérer l’accès à la fibre dans tout le pays. Objectif : 100% des Français raccordés en 2025. Si déjà près de 70% des locaux particuliers et professionnels du pays, essentiellement urbains, sont raccordés, ce sont bien les portions les plus éloignées des réseaux qui représentent encore un défi pour les acteurs concernés.
New deal Mobile, France très haut débit, Service universel des communications, les initiatives se multiplient pour faire progresser la couverture du territoire français en matière de communication numérique. Et les choses avancent, puisque ce sont par exemple 15000 lignes de fibre optique qui sont mises en place quotidiennement, et que la France est en tête de l’Union européenne dans le déploiement de la Ftth (la fibre jusque chez l’abonné), appelée à remplacer définitivement le câble en cuivre sur l’ensemble du territoire à l’horizon 2030.
Fracture numérique et zones blanches
Tout n’est pas au beau fixe cependant, et il reste des efforts à faire pour conjurer définitivement les risques de fracture numérique. Fracture numérique ? C’est l’idée que les différences qualitatives et quantitatives de connexion aux services numériques, ceux de l’administration comme ceux de prestataires privés, peuvent être à l’origine ou amplifier des inégalités socio-économiques majeures entre français, qu’il s’agisse de particuliers comme d’entreprises.
Pour prévenir ce mal socio-politique, une cause nationale majeure : la réduction des fameuses « zones blanches », c’est-à-dire, qu’on traite de communications mobiles ou de réseaux fixes, les parties du territoire national qui ne bénéficient pas encore du raccordement aux réseaux les plus performants, à la hauteur des standards qualitatifs et quantitatifs les plus exigeants, et à même justement d’éviter ou de réduire les inégalités. Pour faire simple, la 4G a minima pour ce qui concerne les communications mobiles, et le très haut débit, soit la fibre optique, pour les réseaux fixes.
« La première fracture numérique est celle que j’ai vécue dans mon village. Nous avons été fibrés en 2021. Jusqu’à cette année, avoir accès à toute la partie Internet était très compliqué. » Comme le souligne Hugo Biolley, maire de Vinzieux dans l’Ardèche, ce sont de fait les petites villes et les zones rurales qui pâtissent le plus d’un défaut de raccordement, alors que simultanément, elles ont vu le désengagement au moins partiel de nombreux services publics, rendant d’autant plus nécessaire le raccordement à des moyens de communication de qualité pour assurer les échanges d’information à distance. C’est d’autant plus vrai que les activités économiques, à la faveur de la pandémie, ont connu un début de déconcentration par rapport aux métropoles. Les métiers du tertiaire ont ainsi vu la généralisation des pratiques de télétravail, au moins partiel, et « l’expatriation » au moins temporaire des habitants des métropoles et notamment Paris, vers des zones parfois reculées.
La réduction des zones blanches revêt donc un caractère stratégique évident, pour permettre au tissu économique de continuer à vivre quelles que soient les circonstances, et aux entreprises des zones d’activités éloignées des grands centres urbains d’avoir une même qualité d’accès au « world wide web » et donc à leurs fournisseurs, leurs sous-traitants et bien sûr leurs clients, sous peine de handicap compétitif majeur. Selon le groupe Caisse des dépôts, « l’usage du haut débit et du très haut débit apparaît encore inégalitaire selon la taille des sociétés. Si une vitesse de téléchargement supérieure à 30 Mbits/s (i.e. le très haut débit) concerne 66 % des entreprises de plus de 250 salariés, ce taux chute (…) pour ne s’établir qu’à 25 % pour les entreprises de 10 à 19 salariés », évoquant même une « fracture numérique entre sociétés ». Or les plus petites entreprises sont proportionnellement plus nombreuses loin des grands centres urbains.
À la manœuvre, l’État, les collectivités territoriales et les opérateurs
L’État est bien conscient de ces enjeux, puisque depuis une décennie les plans nationaux se succèdent, avec des moyens conséquents. La France est d’ailleurs le pays européen le plus avancé dans le déploiement de la fibre, avec, comme prévisions pour 2022, 87 % des foyers éligibles à la fibre. Sous la présidence Macron, c’est Cédric O, secrétaire d’État au numérique, qui est à la manœuvre, et place haut la barre des ambitions nationales : « Il s’agit de […] rendre 100 % des foyers raccordables à la fibre optique d’ici 2025 », car « la connexion à la fibre est aussi essentielle qu’à l’électricité, à la téléphonie mobile ou à l’eau. ».
Côté budgétaire, les exécutifs successifs ne lésinent pas sur les moyens, puisque le seul Plan France Très Haut Débit prévoit quelque 20 milliards d’euros, dont 6 milliards d’argent public, pour répondre aux difficultés du déploiement de la fibre dans les zones rurales, accélérer la généralisation de la fibre optique sur le territoire national et généraliser l’accès à tous fin 2025. Et les disparités territoriales sont clairement identifiées, puisque le plan France très haut débit organise différemment les interactions des différents interlocuteurs entre « zones très denses » (entendez les plus grandes villes) et « zones moins denses » (le reste du territoire).
Pour superviser, conseiller et accompagner ces actions, l’État a confié à l’ARCEP une fonction de pilotage et d’animation d’un système élaboré, aux modalités nombreuses, complémentaires et parfois complexes entre zones et réseaux d’initiatives privées, AMII et autre AMEL… avec, au cœur des zones blanches, la notion de zone de réseaux d’initiative publique, où les opérateurs interviennent en délégation de service public, pour installer un réseau financé par les collectivités territoriales.
C’est d’ailleurs vers cette agence que se tournent ces dernières lorsqu’elles ont besoin d’une expertise dans la conduite de leur action. Elles sont les acteurs publics les plus directement impliqués dans la réduction des zones blanches, de concert avec les opérateurs. Régions, départements et communes sont en effet les meilleurs connaisseurs de la situation et des besoins locaux, au contact immédiat des besoins de leurs administrés et vrai « sachants » des caractéristiques socio-économiques locales. Jean-Paul Carteret, maire de Lavoncourt, un village rural de 340 habitants (Haute‑Saône), en témoigne : « Avant, les gens qui voulaient venir s’installer appelaient pour savoir s’il y avait une école. Aujourd’hui, ils appellent pour savoir s’il y a la fibre. C’est pourquoi j’ai fait en sorte de développer le numérique dans ma commune : nous avons même obtenu un label “4 arobases” ».
Du côté des opérateurs, on est également très conscient des enjeux. C’est le cas chez les grands opérateurs d’infrastructure qui conçoivent les systèmes et architectures globaux, comme le souligne Thierry Kergall, directeur d’Orange aux Antilles-Guyane : « Un réseau fibré sur un territoire, c’est permettre le développement des usages, accompagner la transformation numérique des entreprises et des collectivités, encourager l’afflux de touristes et garantir l’attractivité ».
C’est tout autant le cas chez les opérateurs de déploiement, en charge des connexions finales avec les clients des fournisseurs d’accès. Question notamment de proximité humaine, car leurs techniciens, souvent originaires des environs, concrétisent la mise en place du service sur le terrain, et assurent son fonctionnement quotidien dans la durée, au contact direct des usagers. Laurent Rochette est directeur général de SYN, qui a œuvré pendant cinq ans au déploiement de la fibre dans les Yvelines, dans le cadre d’un partenariat public-privé de 100 millions €. Selon lui, un tel effort permet désormais de travailler « sur toutes les applications possibles du très haut débit pour proposer des services publics innovants et nécessaires au développement économique et social du territoire ». Chez Solutions 30, l’un des leaders du secteur, ce sont près de 8000 techniciens des réseaux qui sont déployés sur le territoire français, y compris dans les zones les plus rurales, pour permettre l’accessibilité à la fibre. « Ces services ont une utilité sociale, ils ont vocation à réduire la fracture numérique » explique Gianbeppi Fortis, président du directoire de la société ; « en connectant les entreprises et les particuliers dans les territoires, des sociétés comme la nôtre créent de la valeur à leur profit, et donc jouent un rôle socio-économique important, a fortiori en période de pandémie. Et ce rôle de « mise en contact » est également valorisant pour nos équipes … ». Un rôle concret auprès des usagers qui s’étend bien au-delà de la fibre, puisqu’une société comme Solutions 30 consacre ses savoir-faire de déploiement à d’autres outils numériques de désenclavement comme les bornes de recharge pour les véhicules électriques, et, enjeu de demain, à l’extension de la 5G.
Au total donc, les choses progressent en France et les zones blanches reculent, grâce à un dispositif très complet et à la détermination des autorités. Un dispositif qui a toutes les chances de révéler sa pertinence et son potentiel dans l’avenir, au rythme des défis numériques qui ne vont cesser de se multiplier, avec notamment le développement des smart cities, l’accélération de la transition énergétique, et donc la nécessaire maintenance et mise à jour de tous les services existants.