Développement des territoires : ces entreprises qui nourrissent leur écosystème
24 février 2022
L’année 2020 et la crise sanitaire ont mis en exergue le « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron, et le rôle de bouée de sauvetage de l’État en faveur des salariés et des entreprises. Dans les territoires, ce sont ces dernières qui jouent le rôle de catalyseur, en faisant fonctionner tout leur écosystème direct.
Ce sont des coopératives, des géants du BTP ou des ETI. Toutes ont en commun leur fort impact sur leur écosystème, géographique et professionnel. Cette « empreinte territoriale » – aujourd’hui validée par la norme ISO 26000 – est de trois natures : directe, via l’implantation même des salariés, indirecte via les fournisseurs et sous-traitants, et enfin induite, grâce à la consommation des collaborateurs de ces entreprises et aux taxes qui permettent aux services publics de se maintenir. Prenons comme exemples trois entreprises actives en région parisienne (Eiffage), en Normandie (Tereos) et Languedoc-Roussillon (Nicollin). Pour elles, développer leur ancrage territorial nécessite de bien connaître les parties prenantes (communes, associations, clients, riverains…) et d’avoir une vision à moyen et long terme du développement des économies locales.
Impacts directs : l’emploi, paramètre nº1
Bien évidemment, le premier impact direct des entreprises est l’emploi. En Ile-de-France, le BTP est en perpétuelle effervescence, à l’image du groupe Eiffage. Ce géant du génie civil est né en 1993 de la fusion de nombreuses entreprises, dont l’historique société Quillery, à Saint-Maur-des-Fossés dans le Val-de-Marne. Ici même, le chantier du siècle du Grand Paris Express (GPE) – le futur métro de la région parisienne – est omniprésent, Eiffage Génie Civil étant par exemple en charge des travaux de la future gare Saint-Maur-Créteil. Sur ce site comme sur les autres chantiers du GPE gérés par Eiffage, il a fallu embaucher. « Au tout début, nous n’avions pas 2000 collaborateurs dans les starting blocks, se souvient Pascal Hamet, directeur de projet chez Eiffage Infrastructures. Le défi humain était donc de mobiliser, dès le premier mois, l’encadrement et l’ingénierie pour les bureaux d’études chargés des calculs de structures. Quand la Société du Grand Paris nous a attribué ce marché, elle a surveillé de très près cet indicateur : nous sommes rapidement montés à 400 encadrants sur ce chantier. Ensuite, la mobilisation et la formation des compagnons a permis d’assurer la production du chantier : ils étaient 200 au début, ils sont 1500 à présent, constitués en équipes opérationnelles et efficaces. »
La politique de l’emploi des entreprises passe aussi par la formation. En France, le Groupe Nicollin – spécialisé dans la gestion de déchets et le nettoyage urbain – est surtout connu du grand public grâce au club de football de Montpellier, fondé par Louis Nicollin, figure emblématique du club et fondateur de l’entreprise. Toujours propriété familiale, le club continue de se développer avec des investissements massifs (entre 150 et 180 millions d’euros) pour la construction de son nouveau stade, chantier qui créera 5000 emplois. Mais dans le département de l’Hérault, la famille Nicollin est surtout engagée dans la vie économique du territoire, à commencer par l’insertion sociale des jeunes avec la création en 2019 de son propre centre de formation, la N Académie. « Nous avons constaté un vieillissement du management intermédiaire, remarque Patricia Jarlot, directrice de la formation chez Nicollin. Il nous fallait trouver une transition entre les anciens pétris de culture d’entreprise et les jeunes plus habiles avec les nouvelles technologies. L’apprentissage, c’est l’outil parfait pour former nos chefs d’équipe et de secteur de demain. » Entre embauche directe et apprentissage, les entreprises jouent à plein leur rôle dans les territoires.
Impacts indirects : encore et toujours l’emploi, l’économie circulaire…
Partons à présent en Seine-Maritime où le groupe coopératif sucrier Tereos est implanté. Ici, l’usine de Lillebonne emploie 179 salariés, ce qui représente chaque année 14 millions d’euros de rémunération. Si l’emploi est là aussi au cœur de la stratégie de l’entreprise, la logique des circuits courts constitue une autre facette de l’empreinte territoriale et s’inscrit dans la politique, tant au niveau de la proximité des sites de production de betteraves (dans un rayon moyen de 30km) que pour l’eau utilisée dans les usines, issue d’un circuit fermé afin de limiter les prélèvements dans la nappe phréatique : « Par notre stratégie RSE renouvelée, explique Philippe de Raynal, président du directoire de Tereos, nous réaffirmons nos engagements en réponse aux attentes sociétales, une alimentation saine et sûre, des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et de la biodiversité, des produits issus de circuits courts, des énergies propres et renouvelables, et une industrie décarbonée. »
En 2019, Tereos s’est intéressé à son impact direct sur les territoires avec une étude indépendante : « La création de valeur est le fruit du travail combiné de chaque collaborateur, partenaire, fournisseur, assure Féréol Mazard, directeur de l’usine Tereos à Lillebonne en Seine-Maritime. Notre site de Lillebonne, par exemple, est un acteur majeur de la transformation de blé qui génère une activité dont la portée dépasse largement l’usine. Avec la moitié des retombées positives localisées en Normandie, notre activité est au cœur de l’économie circulaire et durable, mais également locale. » Selon Tereos, l’activité à Lillebonne rejaillit en effet sur de nombreuses entreprises de la région, avec 190 millions d’euros d’achat auprès des fournisseurs locaux. Mais le chiffre le plus significatif de cette enquête reste le coefficient multiplicateur d’emploi : 10,4 emplois annexes découlent d’un seul emploi chez Tereos. Au total, ce sont ainsi 1886 emplois indirectement soutenus par la coopérative, dont 929 dans l’agriculture et 143 dans les transports par exemple.
Les sous-traitants sont en effet au cœur des écosystèmes où les grandes entreprises évoluent. En région parisienne, Eiffage avait lui aussi quantifié l’activité créée pour ses sous-traitants : en 2018, l’obtention du contrat pour le lot 1 de la Ligne 16 du Grand Paris Express avait été synonyme de 360 millions d’euros pour les TPE et PME locales, en accord avec la charte Entreprise-Territoire prévoyant que 20% du montant du contrat profitent aux petites entreprises locales et à leurs apprentis en bâtiment. « L’objectif est de faire monter en qualification les gens du territoire », soulignait alors Xavier Billard, chargé de mission stratégie et partenariat chez Grand Paris Grand Est. Objectif atteint, donc.
Impacts induits : reconversion, finances publiques…
Si ces grandes entreprises permettent à de plus petites de prospérer, elles fournissent également de futurs salariés aux entreprises locales ou aux services publics, comme dans le cas emblématique du chantier de la ligne TGV « Bretagne Pays de Loire ». « Que ce soit pour le terrassement ou le génie civil, nous avons accompagné plus de 1500 collaborateurs grâce à des formations, et en avons embauché plus de 1000, assure Imed Ben Fredj, directeur des supports opérationnels chez Eiffage Infrastructure sur le GPE. En fin de circuit, et c’était la première fois que nous faisions cela, nous les avons reformés – avec un diplôme à la clé – pour un métier qu’ils pourraient intégrer sur place afin de trouver du travail dans les entreprises locales, par exemple un terrassier formé pour des travaux de voirie. Cette empreinte que nous laissons derrière nous à la suite d’un grand projet fait partie de notre culture d’entreprise. » Ce sont ainsi des dizaines de nouveaux qualifiés dont un groupe de ce secteur, non seulement assure la formation et l’expérience professionnelle initiales, mais qu’il met finalement à disposition, immédiatement prêts à l’emploi, des acteurs locaux de travaux publics.
Toutes ces activités locales sont aussi très importantes en termes de participation aux services publics, via les impôts et taxes foncières. Dans le cas de l’usine de Tereos à Lillebonne, cela représente 5,2 millions d’euros dont 75% d’impôts locaux. Sans cette unité de production et l’activité qu’elle draine, les services publics locaux seraient en fâcheuse posture. Ce soutien aux dépenses publiques et aux services locaux est essentiel pour le territoire concerné : les emplois induits par la consommation des ménages à Lillebonne se répercutent à la fois dans le maintien 134 emplois publics, mais surtout de 795 emplois dans les secteurs de la santé, des activités sociales et de l’éducation. Un vrai effet ricochet.
Dans le cas de Montpellier, le groupe Nicollin a mis au cœur de son projet de nouveau stade de football la réduction de l’impact sur les finances territoriales : « Le déménagement au stade Louis-Nicollin permettra de réduire la charge de 1,5 million d’euros consacrés annuellement à l’entretien du stade de la Mosson. Le nouveau stade représente par ailleurs pour la collectivité une perspective de recettes fiscales nouvelles, constituée des taxes foncières et taxes sur la contribution foncière des entreprises domiciliées in stadia. » Dans l’Hérault comme en région parisienne ou en Seine-Maritime, « l’empreinte territoriale » des entreprises dessine un cercle vertueux, pour les salariés et les secteurs professionnels connexes, ainsi que pour les finances et services publics. Leur présence et leur dynamisme dans les territoires prouvent une chose : l’État ne peut pas tout faire, et n’a pas d’autres choix que de s’appuyer sur le secteur privé, véritable poumon des écosystèmes locaux.