Harcèlement sexuel en entreprise : mais non, c’était une mauvaise blague !
30 août 2018

Harvey Weinstein, Luc Besson, Denis Baupin, Nicolas Hulot, Asia Argento…. Chaque mois une affaire de harcèlement sexuel éclate dans le milieu du spectacle, de la politique, du cinéma, des transports publics, du sport de haut niveau…. Le milieu universitaire a respecté ses positions de principe en suspendant récemment un directeur de thèse après une plainte d’une étudiante. Lors de la coupe du monde de football, les agressions sexuelles des journalistes sportives puis des supportrices le jour de la victoire des Bleus ont fait du bruit.
En plein été, le Parlement a adopté le projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes. Ainsi, le législateur a décidé de prendre à bras le corps la question du harcèlement de rue avec la verbalisation des « outrages sexistes ». L’agression physique en pleine rue de Paris d’une femme qui a osé se rebeller face à une remarque sexiste a ému le pays. Le suspect a été interpellé.
Et l’entreprise dans tout ça? Y a t’il du harcèlement sexuel en entreprise ?
Le mutisme organisé des entreprises sur le harcèlement sexuel
Le malaise des directions pour évoquer le harcèlement sexuel
Côté entreprise, c’est un silence assourdissant ou presque concernant le harcèlement sexuel et les agissements sexistes… Cette sphère serait-elle épargnée ou mieux préservée?
Au sein de l’entreprise, direction générale et direction des ressources humaines sont mal à l’aise avec le sujet. Comment parler de sexe dans le milieu professionnel ? Certes un quart des salariés sont déjà tombés amoureux au travail. Et pourtant, faire des compliments sur sa jupe ou son rouge à lèvres à une collègue ou l’appeler « ma cocotte » peut être taxé d’agissement sexiste. C’est le grand flou entre drague, remarque déplacée, agissement sexiste, harcèlement sexuel, agression sexuelle… Résultat, personne n’ose regarder le sujet en face.
Petit défi : recherchez sur internet les mots harcèlement et entreprise. Des dizaines et des dizaines de pages vous renvoient vers des liens sur le harcèlement ………………moral …
Le monde de l’entreprise serait-il vraiment un monde à part ? une bulle protégée ?
Bonjour, je suis un harceleur
Pour autant, les demandes de sensibilisation auprès des managers se multiplient, assorties d’une crainte. Le fait de parler du sujet serait susceptible de « créer » ou pire, de révéler des affaires qui jusqu’alors ne faisaient pas de vague. C’est ainsi que lors d’une sensibilisation auprès de cadres, le directeur des RH et de la prévention sécurité a tenu à rappeler dans son propos introductif que l’organisation de cette action ne faisait en aucun cas suite à une quelconque plainte ou remontée de harcèlement sexuel.
Les dernières formations que j’ai animées auprès de managers de grands groupes ont été très instructives : au sein d’un grand groupe du CAC 40, la matinée a attiré 90% de femmes. « Bonjour, je suis un harceleur » a affirmé -de manière ironique- un des rares hommes présents quand est venu son tour de se présenter. La peur de la stigmatisation et de la généralisation est vite présente.
Ce qui surprend le plus les participants ? Le délit de harcèlement sexuel en entreprise ne trouve sa définition actuelle que fin 2012. Faut-il rappeler que ce délit avait carrément disparu début 2012 sans que cela n’émeuve grand monde ?
Harcèlement en entreprise : comment déterminer la frontière ?
La vraie question reste celle de la limite. Quand un client demande à la responsable communication de mettre un décolleté lors de l’inauguration prévue le lendemain : séduction? humour déplacé ? remarque sexiste ? carton rouge ?
Humour et harcèlement sexuel en entreprise : faut il choisir?
Où est donc la frontière ? On ne pourrait plus plaisanter, ni faire de compliments ? Alors stop l’humour en entreprise, fini le fait de dire à une collègue qu’elle est bien maquillée ?
C’est à cette question que j’ai répondu à Bertrand, responsable d’agence, qui participait avec tous ses collègues et sa direction à une sensibilisation sur le sujet. Spontanément et sans réfléchir, je me suis avancée vers lui et lui ai dit gentiment en le regardant dans les yeux « tu es vraiment sexy avec ta petite barbe de 3 jours ». Il s’est figé. Puis rajouté « et ton pantalon slim te va vraiment très bien ». Il a rougi. Inutile de continuer, il a immédiatement répondu« j’ai compris, c’est bon… ». Ses collègues étaient partagés entre stupeur et fou rire.
Tout commentaire était devenu superflu. Chacun a ressenti d’où venait le malaise de Bertrand. Des remarques agréables, à la limite de la séduction mais dans un cadre professionnel et par la personne qui détenait en tant que consultante « l’autorité légitime ».
Changer de point de vue et se mettre à la place de l’autre
Il est important d’interroger nos comportements, en fonction de l’environnement et de la place d’où l’on parle. Et surtout se reposer la question du respect. Peut on rire de tout ? Il est devenu un lieu commun de regretter l’humour de Desproges, de Coluche, des Nuls…
Mais rien n’empêche de rire, de draguer, de complimenter quelqu’un qui a envie de rire, d’être dragué, ou à qui cela fait plaisir d’être complimenté.
Adopter le point de vue de l’autre peut aider à identifier la frontière. Tolérerais-tu ce même type d’agissements, de remarques, de plaisanteries à propos de ta mère, ta sœur, ta fille ? Rappelons que 9 victimes sur 10 de harcèlement sexuel en entreprise sont des femmes.
Évoquer ce sujet en entreprise évite par conséquent de rendre anecdotique ce qui atteint la dignité des unes et permet finalement de différencier clairement les comportements déviants d’une infime minorité de ceux de la majorité des hommes.
Marie Delmont, dirigeante de MpI Conseil